Lauréat de nombreuses récompenses, dont l’Oscar de la meilleure actrice pour Brie Larson, Room débarque sur les écrans français précédé d’une réputation élogieuse. Si le résultat ne tutoie pas des sommets, il n’en demeure pas moins une œuvre attachante dotée de certaines qualités non négligeables.
En 2010 la romancière irlandaise Emma Donoghue publie le roman Room inspiré de plusieurs cas d’enlèvements et de séquestrations de jeunes femmes en Europe ainsi qu’aux États Unis. Notamment les cas d’ Elisabeth Fritzl, Jaycee Lee Dugard et Natascha Kampusch. Le livre devient rapidement un best seller mondial. Donoghue avait déjà écrit un scénario tiré de son livre avant publication de ce dernier, facilitant la tache d’une future adaptation cinématographique qui échouera au cinéaste irlandais Lenny Abrahamson (Frank). Ce dernier réuni le directeur photo de Tom Hooper, Danny Cohen, et le chef décorateur Ethan Tobman (Empire State) autour de son équipe fétiche constituée du monteur Nathan Nugent et du compositeur Stephen Rennicks. Pour le rôle principal de Ma plusieurs actrices sont envisagées : Emma Watson, Rooney Mara, Mia Wasikowska ou encore Shailene Woodley. Mais c’est Brie Larson dont la prestation dans States of Grace a impressionné le cinéaste qui est retenue. Cette dernière est secondée par le jeune Jacob Tremblay (Les Schtroumpfs 2) dans le rôle de son fils prénommé Jack. Le duo est rejoint par Sean Bridgers, Joan Allen et William H. Macy.
Le tournage prend place à Toronto et durera moins d’un mois entre novembre et décembre 2014, le tout pour un budget estimé à 6 millions de dollars. Pour les besoins du rôle, Larson ira jusqu’à couper toute forme de contact avec l’extérieur et suivra un traitement spécifique pour coller au plus près de son personnage, allant jusqu’à nouer une forte complicité avec Tremblay. Afin de soutenir le jeune interprète dans certaines scènes difficiles c’est l’équipe entière qui n’hésitera pas à mimer les hurlements au jeune garçon afin de le rassurer. Par souci de réalisme, le cinéaste insiste pour garder le côté exigu de la Room du titre, ce qui engendra un vrai défi logistique pour l’emplacement des prises de vues qui vaudront au tournage d’être surnommé « Tetris » par Abrahamson. Room est divisé en deux parties distinctes mais formant un tout cohérent. La 1ère heure décrit le difficile quotidien de Ma et son fils né du viol de son kidnappeur, dans le cabanon qui leur sert de prison. Si ce point de départ associé au passif peu glorieux du cinéaste laisse envisager une vision misérabiliste de son sujet, Room parvient cependant à éviter certains écueils propre au cinéma indépendant US en faisant preuve d’une certaine sobriété et en adoptant le point de vue de Jack. Un parti pris visuel et narratif centré sur le jeune protagoniste. La voix off de ce dernier conçoit le monde clos dans lequel il évolue, comme un gigantesque terrain de jeu propice à libérer son imagination symbolisé par la fenêtre cubique du haut qui donne vers le ciel et par la télévision. Cette innocence du regard contraste avec le côté scabreux du décor. La plus grande force de Room réside dans son duo principal. Le jeune Jacob Tremblay joue sur plusieurs contrastes émotionnels en une fraction de seconde avec un naturel désarmant qui mérite d’être salué, aidé par une écriture qui joue sur la vraisemblance psychologique et l’insouciance du jeune protagoniste dans un environnement pourtant dangereux.
Tandis que l’ancienne interprète d’Envy Adams dans Scott Pilgrim utilise une diction déterminée qui crédibilise sa volonté de s’en sortir en faisant preuve de réalisme quant à sa situation. L’alchimie palpable entre ses deux brillants interprètes est pour beaucoup dans l’émotion suscitée par le film. Cependant loin de se limiter à ses deux brillants interprètes le cinéaste délaisse certains tics de mises en scène « indé » auxquels il était habitué pour une approche plus sensitive et organique de son sujet. Optant pour un ratio 2.35 afin de laisser plus d’espace aux jeu des interprètes, Abrahamson traduit visuellement le ressenti de Jack en obscurcissant son champ de vision lorsque ce dernier est dans le placard, en jouant sur le flou et la vue subjective, y compris lorsqu’Old Nick (Sean Bridgers) fait son apparition. C’est d’ailleurs ce personnage qui révèle les limites du cinéaste, délaissant le crescendo induit par l’identité du kidnappeur et la vision que s’en fait le petit garçon, amenuisant par le coup sa force d’évocation. Si Abrahamsson n’as point le talent de ses prédécesseurs (Spielberg et Mulligan en tête) quand il s’agit d’épouser le point de vue de son jeune protagoniste, il se permet néanmoins un vrai morceau de bravoure. L’évasion de Jack joue autant sur le suspense que la découverte du monde extérieur par le garçon et la désorientation qui en découle. Une vraie fulgurance qui témoigne d’une volonté d’immerger son spectateur au plus près des émotions des personnages.
La deuxième partie du long métrage qui voit le retour de Ma dans sa famille inverse le postulat en faisant de sa chambre la promesse d’un renouveau difficile d’accès. Un effet miroir évident mais qui parvient à maintenir notre attention grâce au regard de Jack, et qui évite l’aspect « téléfilm familial » dans lequel Room aurait pu facilement tomber. D’autant que sans le vouloir le cinéaste réintroduit, par son décorum et le choix de ses protagonistes, la banlieue américaine et ses secrets enfouis, comme enjeu thématique de son récit. Une dimension anachronique dans la mesure ou cette donnée matricielle de l’imaginaire américain avait quasiment disparu de la production « mainstream » contemporaine au profit des mégapoles. Des cinéastes comme Greg Arraki (White Bird) ou Peter Jackson (Lovely Bones) auraient été sans doute plus à même de fusionner le récit d’Emma Donoghue avec l’imagerie mythologique de la banlieue américaine notamment dans l’horreur et l’acceptation du deuil. Cependant la vision d’Abrahamson, à défaut d’être d’une grande inventivité, s’avère honorable notamment dans sa conclusion optimiste qui finit par toucher le cœur des spectateurs.
Si Room n’est pas un grand film, il n’en demeure pas moins une œuvre honorable. Inégal dans ses effets mais plus soigné que les précédentes réalisations d’Abrahamson. Grâce à une narration concise, quelques idées de mise en scène particulièrement bien vues et surtout deux brillants interprètes. Ce dernier point étant pour beaucoup dans la petite réussite que représente le long métrage.